La vente sans conseil en assurance vie : une fausse opportunité pour les distributeurs ?

24 mai 2017

Largement inspirée par la réglementation sur MIF II, la nouvelle Directive relative à la Distribution des produits d’Assurance (DDA) pourrait impacter les établissements d’assurance en matière de conseil, même si la réglementation française était déjà en avance dans ce domaine.

Défini dans la directive sur l’intermédiation en assurance de 2002 comme une obligation indissociable du contrat d’assurance et devant être formalisé par écrit, le conseil voit son contenu évoluer avec la nouvelle directive. Elle introduit une certaine flexibilité en prévoyant la « vente sans conseil » afin d’intégrer une pratique de longue date dans certains pays. Cela ne signifie pas que le distributeur peut proposer un produit d’assurance sans avoir interroger le client sur ses besoins, les ventes push étant strictement proscrites par le nouveau texte. Pour autant, la DDA permet aux états Membres de prévoir des mesures plus ou moins contraignantes en fonction du degré de complexité du contrat vendu. Par conséquent, ce qui aurait pu être vu comme un allègement des formalités liées à la commercialisation de l’assurance vie, n’est en fait qu’une option que la France ne retiendra certainement pas, compte tenu de sa réglementation très protectrice du consommateur.

LE CONTENU DU CONSEIL SELON LA NOUVELLE DIRECTIVE

La directive définit le conseil comme étant une prestation basée sur une recommandation personnalisée au client mais reste facultative, alors qu’elle est imposée en droit français. Pour autant, le nouveau texte impose des obligations a minima de recueil des besoins du prospect et de proposition d’un produit en adéquation, très proche des processus actuels régis par les dispositions du code des assurances.

A minima

La démarche de conseil comporte trois étapes : 1) le recueil des besoins et exigences du client (ce que la directive désigne sous le « test des besoins et des exigences », terminologie empruntée à MiFID2), 2) l’évaluation des exigences et des besoins sur la base des informations fournies par le client, 3) la cohérence du produit d’assurance proposé avec ces exigences et besoins (ce que la directive désigne sous le « test de cohérence »), L’ensemble des éléments doit être formalisé sur un support écrit ou durable laissé à la disposition du client. Ces dispositions de traduisent dans les systèmes d’information par :

  • Un outil de collecte de données sur la situation, les connaissances et l’expérience financière du client. Ce recueil d’informations porte aussi sur les besoins et les exigences du client en termes d’horizon de placement et disponibilité de capital, de risques financiers, de garanties…
  • Un document (souvent associé au KYC LAB) à générer qui formalise les besoins et le conseil délivré par distributeur, et permet de prouver le respect de ses obligations et aussi de protéger le consommateur. Les juridictions françaises ont par ailleurs toujours sanctionné les acteurs de la distribution pour défaut de conseil ou manquement à leurs obligations dès lors que les contrats proposés n’étaient pas adaptés aux besoins du client (épargner en vue de la retraite, financer une opération à court terme…). A minima, afin d’assurer la protection du consommateur, le distributeur s’oblige donc à recueillir les données relatives au client et à lui proposer un contrat en adéquation avec ses besoins et exigences même s’il n’a pas justifié son conseil.

En option

Si la nouvelle directive rend optionnelle la recommandation personnalisée (la justification du conseil) pour les contrats d’assurance vie non complexes, c’est parce que certains pays européens, contrairement à la France, ne l’ont pas intégré dans leur pratique et leur réglementation. C’est pourquoi la DDA impose d’informer le client dès l’origine du contrat que la prestation de conseil lui sera ou non délivrée, et éventuellement facturée. Cette déclaration est un équivalent de la déclaration prévue par la réglementation MiFID2 s’appliquant aux produits financiers. En pratique, cela correspond à la quatrième étape de la démarche conseil : le distributeur propose une solution d’assurance en adéquation (totale ou partielle) avec les souhaits du client et justifie le conseil délivré (ce que DDA désigne par « la recommandation personnalisée »), à savoir que les contrats et garanties sont en corrélation avec les souhaits du souscripteur et sont nécessaires à la protection de son patrimoine. Cette étape, parfois négligée, est le lien entre le recueil des besoins et la solution d’assurance proposée. Mais elle est contraignante puisqu’elle demande un effort de rédaction qui est difficilement compatible avec une certaine standardisation et automatisation des outils utilisés, voire une volonté de sécuriser les ventes, en limitant les erreurs rédactionnelles préjudiciables.

UN IMPACT RELATIF SUR LES PRATIQUES ACTUELLES EN FRANCE

La possibilité de vendre de l’assurance vie sans conseil, telle que prévue par la directive (et sous réserve de ce que le législateur français décidera) risque d’avoir un impact relatif sur les outils et pratiques des réseaux de vente. En effet, les états Membres ont la possibilité d’imposer que la vente soit obligatoirement assortie de conseils de la part du distributeur ce qui est déjà le cas en France. Par ailleurs, comme la jurisprudence l’a souvent rappelé, le conseil ne s’arrête pas à la souscription mais perdure au-delà. La recommandation de l’ACPR du 8 janvier 2013 préconise quant à elle, d’actualiser le conseil délivré au client chaque fois qu’une modification substantielle du contrat intervient. Ce principe trouve son équivalent dans la mise à jour de la déclaration d’adéquation prévue par DDA. En cas de mise en place d’une évaluation périodique, qui reste facultative pour le distributeur, celle-ci a lieu a minima une fois par an. Par conséquent, il sera nécessaire de faire évoluer les outils de recueil d’information et de conseil existants et d’accompagner les réseaux, notamment par des guides et des formations adaptées.

Enfin, concernant la possibilité offerte par DDA de vendre des produits d’assurance sans conseil, il est fort peu probable qu’en France, le législateur choisisse cette voie. D’une part, parce que la réglementation française est en avance sur DDA et d’autre part, parce que l’ACPR, qui a pour mission de veiller à la protection de la clientèle, a clairement affiché sa position contraire. Position partagée par les acteurs du secteur lors de la Matinale sur DDA organisée par TNP le 22 novembre 2016 s’alignant, de fait, avec le consensus déjà établi…

 

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IKRAM BERHILI
SENIOR CONSULTANTE

 

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